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« Giselle… » de François Gremaud : que saisir sinon qui s’échappe ?

Les Balletonautes ont le plaisir d’accueillir François Fargue, critique notamment sur Dance Europe. Bienvenue, François!
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GISELLE… – une pièce de François Gremaud avec Samantha van Wissen sur une musique de Luca Antignani. Théâtre de Vidy, Lausanne, le 06 janvier 2021. ©Dorothée Thébert Filliger

C’est le ballet Giselle tel qu’on ne l’a jamais vu, entendu ; voire même totalement compris.

En 2017, le suisse François Gremaud créait sa Phèdre avec un point d’exclamation. Il s’attaque aujourd’hui au sommet de l’art chorégraphique romantique, la dite Giselle qu’il fait suivre de trois petits points, habile métaphore qui dit tout ou presque de l’implicite et le mystère entourant l’œuvre.

Giselle est créé le 28 juin 1841 à Paris sur une musique d’Adolphe Adam par les chorégraphes Jean Coralli et Jules Perrot sur un livret de Jules-Henri Vernoy de Saint Georges et de Théophile Gautier lui-même inspiré par le recueil de Heinrich Heine intitulé De l’Allemagne paru en 1835.

L’italienne Carlotta Grisi, qui fête ses 22 ans le jour même de la première, est retenue pour danser le rôle de cette petite paysanne teutonne sans histoire que la trahison d’un prince va propulser au rang d’égérie sublime et dont la jeune Grisi récoltera aussi au passage tous les lauriers.

Au-delà du public parisien conquis, on dit aussi Gautier fou amoureux de l’évanescente Carlotta dont il aurait dans un dernier râle, prononcé le prénom sur son lit de mort.

Pour interpréter à sa manière le rôle, Gremaud a lui choisi sa propre égérie Samantha van Wissen dont le nom signifie de façon opportune ‘s’effacer’ en néerlandais et qu’il affirme « être de ces interprètes qui lui ont fait et lui fait encore tant aimer ces arts que l’on dit vivants et qui ne cesse de célébrer la joie profonde d’être au monde ».

C’est en effet ce que l’immense van Wissen nous fait ressentir pendant près de deux heures, soit en somme la durée du ballet originel ; beaucoup de joies et d’émotions au cours de ce voyage dans le temps. Elle nous y entraine à bord d’un plateau vide accompagnée de quatre musiciennes qui revisitent au violon, au saxophone, à la harpe et à la flûte la partition d’Adam, dont un passage aujourd’hui oublié.

Giselle est insaisissable au propre et au figuré, tel parfois ce ballet pétri de pantomimes pas entièrement accessibles aux profanes voire même aux initiés. C’est en partie à un véritable travail de décryptage auquel se livre Gremaud via Van Wissen. Il nous en révèle les secrets de la pantomime – simplifiée au cours du temps.  Il nous donne du ballet et de l’action une lecture historique parfois pointue – on y apprend notamment  jusqu’aux noms des deux Willis « chouchoutes de Myrtha » –  mais toujours empreinte d’une pédagogie légère qui mêle le trait d’humour parfois un peu facile (les démons de la nuit l’emportent au bout de la nuit) à une prose juste et poétique (on ne sait pas si le prince la porte ou l’empêche de s’envoler) qui est bien le résumé habile d’une interprétation idéale du deuxième acte.

D’ailleurs, van Wissen, qui n’interprète naturellement pas la chorégraphie originale, sait néanmoins par son abattage ou la pitrerie de ses pas nous restituer toute la fougue paysanne du premier acte mais aussi par d’autres gestes et paroles à fleur de peau évoquer avec une infinie tendresse la vibrante beauté du ballet.

C’est avec tendresse aussi qu’elle sait railler les moments les plus désuets de l’histoire en faisant parler les personnages. Elle nous livre une vision exquise de l’effeuillage de la marguerite et fait crouler le public de rire en se lançant brusquement, en néerlandais, dans un tempétueux monologue évoquant la colère de Berthe, la mère de Giselle, désespérée par l’amour de sa fille pour la danse qui épuise son cœur fragile.

On imagine qu’à l’issue de cette représentation où l’on nous distribue le livret du ballet, le public qui a ri et été aussi beaucoup ému aura à cœur d’aller voir ou revoir la « vraie » version, fort de cet éclairage savamment distillé par ce petit bijou de « dictionnaire amoureux » de notre Giselle éternelle signé François Gremaud.

François Fargue.

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GISELLE…   ©Dorothée Thébert Filliger

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Cosi: retiens l’ennui

P1010033Così fan tutte appelle le mouvement : voilà une histoire où les amants se travestissent, où le désir circule, où la farce dissimule les intermittences du cœur. Le premier acte, en particulier, fourmille de péripéties burlesques : dans la mise en scène de Claus Guth (Salzbourg, 2009), par la grâce combinée d’un jeu de masques et d’une circulation réglée au millimètre entre différents étages, jamais, durant le premier acte, les filles ne voyaient le visage de leurs fiancés grimés. Imaginer une mise en scène chorégraphiée avait donc tout son sens.

Sur le papier… car dans les faits, la déception est au rendez-vous. Anne Teresa De Keersmaeker double chaque chanteur d’un danseur de sa compagnie (elle a viré sans ménagement – et sans explication – le deuxième cast, composé de danseurs du ballet de l’Opéra, après quelques semaines de répétitions) : voilà donc douze interprètes sur scène. Ils débutent en rang d’oignons, sur une des courbes dessinées au sol (principal élément de décor avec des rectangles de plexiglas sur les côtés), effectuant, pendant la première demi-heure, tous les mêmes gestes minimalistes. La partition des uns et des autres s’individualise progressivement, sans convaincre tout à fait. De fait, doubler les personnages dispense la mise en scène de les caractériser vraiment (par exemple, qui est Don Alfonso, à part un type qui fait virevolter les pans de son manteau à tout-va ?). Dissocier chant et mouvement conduit aussi à confiner trop souvent les chanteurs dans l’immobilité – voilà un principe de mise en scène fort peu moderne.

Question danse, ATK fait du ATK : on retrouve son art de la musicalité en contrepoint – le corps des danseurs suit la ligne orchestrale et non celle du chant –, sa gestuelle girl-power tout en décentrements des hanches et des épaules (Samantha Van Wissen en Dorabella danseuse) et d’amusants rebonds inattendus (la Despina de Marie Goudot, et les deux garçons dansés par Michaël Pomero et Julien Monty). On peut trouver certains moments plaisants, mais l’ensemble n’embraie pas; le premier acte est sinistre (en tout cas, on ne rit pas), toute l’histoire est montée de manière froide et désincarnée, comme une sèche démonstration de géométrie. On est à mille lieux de la poétique des passions de la production Chéreau, qui – aidé de Thierry Thieû Niang à la « collaboration aux mouvements » – faisait du quintette des adieux un moment poignant (tout cela avec une simple ronde et des mains qui se détachent).

Ici, aucun clair-obscur, mais des lumières-néon qui flashent sans raison (jaune, orange, bleu, vert, violet, qui sait pourquoi ?). Pendant le Come scoglio, Fiordiligi et les autres danseurs oscillent simplement d’un côté et de l’autre en changeant d’appui au sol. La fille penche donc déjà sans le savoir. Pas faux, mais plat (pensez par comparaison à Karita Mattila retenant des chiens en laisse dans le même passage). La direction d’orchestre de Philippe Jordan est au diapason, sèche et sans élan ; si l’on ajoute que les voix sont moyennes – surtout celles des filles – on obtient un Così où l’on s’ennuie.

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