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Le Temps d’Aimer la Danse 2024 : Cie Manuel Liñán. Féminins Pluriels

LE TEMPS D'AIMER 2024 - COMPANIA MANUEL LINAN - VIVA

¡VIVA!COMPAÑIA MANUEL LINAN Photographie de Stéphane Bellocq.

Biarritz, le 7 septembre 2024.

Le temps n’était pas avec nous en ce premier week-end du Temps d’Aimer la Danse à Biarritz. Il aura fallu jouer avec l’incertitude des averses surprises et donc avec l’incessante épée de Damoclès de l’annulation des évènements en extérieur. On profite néanmoins d’une jolie éclaircie sur le jardin Pierre Forsans, en face de la Gare du Midi, pour la répétition publique de la Cie Manuel Liñán.

Le chorégraphe-directeur présente sa pièce Viva ! comme une invitation dans sa chambre d’enfant où il se cachait pour danser les soli flamenco féminins. En effet, dans un monde chorégraphique très genré, vouloir danser les chorégraphies féminines, était des plus mal vu. On ne peut s’empêcher de penser à l’un des épisodes du seul en scène de Guillaume Gallienne, « Les garçons et Guillaume, à table ! » où le narrateur se rend compte un peu tard qu’il a fait se tordre de rire une salle des fêtes entière parce qu’il a appris la Sévillane avec des femmes qui lui ont inculqué leurs roulés de poignets fruités et leur bas de jambe repousse traine à volants. On se demande si c’est sur une registre comique ou volontairement outrancier (à la manière du récent Car-Men des Chicos Mambo) que Manuel Liñán se propose d’interroger l’assignation au genre dans sa pièce pour six danseurs-danseuses et cinq musiciens.

Pour cette présentation en extérieur, seul le chorégraphe danse sur de la musique enregistrée, ses acolytes restant assis sur un banc.

Sur un bourdonnement de corde en ostinato et des chants masculins, Liñán, d’abord en chaussettes, commence sa chorégraphie de dos. Poignets et bras ondulent comme un cygne du Lac classique. Le danseur recule lentement vers le bord de la scène. Puis, il se présente de face en position d’orant. La jupe de répétition noire, très sobre est relevée dans un froufrou très étudié. Les bras et les poignets sont beaucoup plus sollicités que pour un solo masculin. Cette répétition publique laisse beaucoup de questions en suspens sur la forme que prendra le spectacle.

Le soir, lors de la représentation au Casino Municipal, Manuel Liñán débute ¡Viva ! par le premier solo qu’il avait présenté dans la matinée mais en robe rouge, perruque  et peigne. On est surpris par la présentation absolument littérale de l’esthétique flamenca. Il en est de même pour les autres danseurs-danseuses, tous habillés de robes à volants de couleurs différentes, qui apparaissent sur des bancs et font des palmas pendant le solo de la danseuse rouge. Excepté la scénographie, avec ses musiciens qui s’inscrivent d’abord en filigrane à jardin derrière un rideau à frange, la représentation est très caractéristique d’un spectacle de flamenco traditionnel avec son alternance de danses, de chants et de solos musicaux. La pièce, pas dénuée d’humour, notamment lorsque le chorégraphe-danseuse en rouge voit ses jupes soulevées par ses acolytes et les repousse par les crépitements endiablés de ses talons ferrés, ne joue pas sur le registre de parodie. Le plus grand des danseurs, également chanteur, vêtu d’une robe rose, marche sur un chemin de bancs tracé par ses partenaires. On se croirait dans un tablao. Dans le courant de la représentation, cette danseuse gratte-ciel forme un duo avec l’un des chanteurs d’une tête plus court qu’elle. L’association ne nous paraît pas pour autant loufoque. On se concentre sur les interactions entre les interprètes et non sur la question du travestissement. Une danseuse en vert, très aguicheuse, retrousse ses jupes avec gusto. Avec la danseuse à la robe brune, on perçoit toute la puissance de la danse féminine. C’est gracieux sans minauderies. Les zapateados claquent à l’oreille d’une manière plus que martiale. Les palmas vous sonnent l’oreille. On se rend compte, à la mi-temps de la pièce, qu’on a cessé de se demander quel était le genre de ses danseuses en robes à volant. Après tout, dans le monde du flamenco où les carrières durent longtemps, il n’est pas rare d’admirer le métier de danseuses aux corps solides et aux visages anguleux.

LE TEMPS D'AIMER 2024 - COMPANIA MANUEL LINAN - VIVA

¡VIVA! COMPAÑIA MANUEL LINAN. Photographie de Stéphane Bellocq.

On regrette donc presque, tout en l’appréciant pour ce qu’il est, un passage comique aux deux tiers de la pièce où une Fanny Elssler – Cachucha et une Marie Taglioni – Gitana font assaut d’œillades de pacotille et de virtuosité à grands renforts de fouettés, de pirouettes attitude et de sauts. Cet intermède « Trocks » nous parait déplacé tant on était passé à autre chose.

On se replonge donc prestement dans l’ambiance pendant une séquence avec le guitariste. Le solo expressif et sans afféterie d’une danseuse en vert gagne subtilement en puissance dramatique sur la durée. Le final de la pièce, peut-être un peu long, voit tous les danseurs-danseuses arborer une robe blanche à pois noirs et un châle vert à franges tellement attendus qu’ils nous paraissent totémiques. Au fur et à mesure, les interprètes se dévêtissent et se démaquillent, offrant au regard leurs corsaires de lycra chair et leurs corsets surmontés de soutiens gorges rembourrés. Sans infléchir à proprement parler leur danse, Ils nous confrontent de nouveaux à la virilité de leurs évolutions. Le poignant dialogue que Manuel Liñán engage avec une des robes à pois, sorte de Toison d’or, à la fois objet de fascination et sujétion, termine la pièce sur une note puissamment émotionnelle.

LE TEMPS D'AIMER 2024 - COMPANIA MANUEL LINAN - VIVA

¡VIVA! par la COMPAÑIA MANUEL LINAN. Photographie de Stéphane Bellocq.

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A Chaillot : l’art flamenco entre création et tradition

Suivant sa politique éclectique de diffusion de la danse sous toutes ses formes, du contemporain au néoclassique en passant par les danses urbaines, le Théâtre National de Chaillot de Rachid Ouramdane accueillait la cinquième biennale d’art flamenco. Sur une quinzaine de jours, six spectacles dressaient un large panorama des dynamiques et des perspectives de cet art. Nous en avons vu deux.
ARTE FLAMENCO 2018 Farruquito et Juana Amaya photo Jean Louis Duzert 112

Farruquito et Juana Amaya photo Jean Louis Duzert

Le Flamenco a des origines mystérieuses et quasi-immémoriales. Si les racines multiples arabo-musulmane, juive et gitane de cet art mêlant chant, percussions et danse sont avérées, si sa région d’origine est connue (le sud de l’Andalousie), la genèse du mot flamenco lui-même reste aussi floue que celle du mot tutu pour le ballet. À l’heure actuelle, le flamenco est vu en Espagne comme le creuset du renouvellement de la danse contemporaine, un peu comme le hip hop en France régénère aujourd’hui aussi bien le contemporain que le néoclassique.

Personnellement, je venais à cette biennale en néophyte, avide d’être étonné et de me délester au passage de quelques présupposés. Au travers de deux représentations qu’en a-t-il été ?

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Imperfecto. Coria/Gallois. Salle Jean Vilar. Vendredi 11 février 2022

Avec Imperfecto, la découverte se fait sur un terrain assez  peu conventionnel. Il s’agit d’une rencontre entre un authentique danseur et chorégraphe de flamenco, David Coria, et la danseuse et chorégraphe contemporaine issue du hip hop, Jann Gallois. A priori, les deux mondes semblent un peu étrangers. On associe en effet de manière un peu automatique le flamenco aux cliquetis du Zapateado et le hip hop aux  glissés silencieux des sneakers. De même, le braceo flamenco, engageant peu les épaules semble aux antipodes des impressionnants roulis d’épaules et autres ondulations des bras de la technique hip hop. Jann Gallois et David Coria adressent ces supposées incompatibilités en mettant en scène leur rencontre improbable et leurs tentatives fructueuses ou non pour trouver un terrain d’entente.

Au début de la pièce, Jann Gallois, qui fait une entrée en robe pailletée argent très « tapis rouge », très remise des Oscars, présente d’un ton soigneusement articulé et convenu les intentions de l’œuvre. Lorsque David Coria entre avec sa tenue noire à chemise transparente et ses chaussures à talons attendues, il semble jauger son exotique partenaire. Il croque une pomme et la confie à Jann Gallois comme si elle était un simple compotier afin d’être en mesure de la débarrasser de sa carapace argentée. La jeune femme se retrouve alors dans l’attirail attendu de la danseuse contemporaine, en culotte et soutien-gorge noir.

Les deux danseurs sont accompagnés dans leur rencontre par un chanteur de flamenco (David Lagos), un pianiste-tympaniste (Alejandro Rojas) et un percussionniste (Daniel Suarez). Dans leur premier duo « de découverte », les deux danseurs face à face se font des agaceries avec les mains sans vraiment se toucher. Un premier « pas de deux » y succède. David Coria fait les jambes tandis que Jann Gallois, juchée sur ses épaules, interprète la tête et les bras. Elle continue à s’adresser au public d’un ton plus naturel mais égrène un discours toujours aussi convenu. David Coria talonne furieusement le sol et se sert des cuisses de sa partenaire pour ses palmas. Le couple, on ne nous le cache pas, est encore un peu un monstre à deux têtes.

Les danseurs semblent d’ailleurs opter pour un retour à la forme solo. David Coria fait une belle démonstration de son art. Ses talons et ses paumes de main scandent la musique avec un mélange de force et de légèreté. Son torse mobile donne les impulsions à des girations aussi inattendues que rapides. Ses bras alternent des poses statuaires presque classiques, plus libres peut-être que dans le flamenco traditionnel, mais les épaules restent parfaitement calmes et hiératiques. Le danseur a incontestablement un grand charisme.

De son côté, Jann Gallois utilise une technique plus danse contemporaine (passages au sol, contraposti hypertrophiés) que hip hop. Néanmoins, elle garde de cette dernière, par contraste avec son partenaire, des épaules très mobiles et engagées dans les mouvements qui suivent les accents des percussions.

Dans un deuxième duo, les danseurs utilisent d’ailleurs le médium contemporain comme terrain de rencontre : des portés « à basse altitude », des glissés au sol. David Coria ôte ses chaussures pour l’occasion. Jann Gallois, sorte de moderne Pandore, sort d’un coffret de lourds colliers dorés – un peu chaînes de rappeurs gangsta – qui tiendront parfois lieu de connexion entre ces deux corps formés à des disciplines différentes.

Dans la partie finale, David Coria, dans une nouvelle tentative œcuménique, apparaît dans la robe à paillettes de sa partenaire. Son solo, rendu drôle par le costume, reste néanmoins ancré dans la technique masculine flamenca. Jann Gallois, qui entre en costume de sumo gonflable, provoque encore plus l’hilarité de la salle. La chorégraphie du pas de deux qui suit est à la fois loufoque et tendre. Les corps, pourtant empêchés par les costumes, se seraient-ils enfin trouvés ?

Il est temps pour un dernier effeuillage. Les deux danseurs sont désormais tous deux en sous-vêtements noirs. Jann Gallois semble rouler dans les bras de son partenaire assis sur une chaise, comme délivrée des lois de l’apesanteur. On a assisté à une vraie rencontre. Seul regret, le mouvement très galvaudé qui clôt la pièce. La danseuse, accrochée au cou de son partenaire qui tourne sur lui-même dans une pose embrassée est un poncif désormais éculé qui ne reflète heureusement pas Imperfecto même s’il semble donner une réalité à ce titre.

Imperfecto©Michel Juvet

Imperfecto. Jann Galois et David Coria. Photograhie ©Michel Juvet

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Íntimo. Farruquito. Salle Jean Vilar. Mercredi 16 février 2022.

Plus traditionnel, le spectacle présenté quelques jours plus tard par Farruquito (Juan Fernández Montoya pour l’état civil), issu d’une dynastie flamenca (son grand père, Farruco, était un célèbre danseur gitan, son père, El Moreno, un grand chanteur et sa mère, la Farruca, une célèbre danseuse), ressemble plus à un récital avec tous les éléments de la geste flamenca dont la danse n’est qu’une partie. Le parti pris est de représenter une sorte d’histoire du flamenco au travers de la mise en scène. Des pupitres en fond de scène mettent en lumière les différents ingrédients de cet art né il y a très longtemps dans les fêtes familiales du sud de l’Andalousie : à droite, la batterie, au centre, le guitariste solo, à gauche le pupitre des chanteurs (deux hommes, Chanito et Bolita et une femme, Mari Vizarraga) et du bassiste (Julian Heredia).

Le spectacle commence par le chant, l’élément premier du flamenco. Farruquito évolue entre les deux chanteurs isolés dans des cercles de lumière de part et d’autre de la scène. La danse et le percussif (au travers du zapateado et des palmas) viennent en second. Enfin,  les cordes sont mise au centre de la scène dans un passage solo où le guitariste, Yerai Cortés, semble apparaître seul, juste surmonté par les deux paires de mains des chanteurs dont la presque entièreté du corps reste dans la pénombre… L’emploi des cordes est en effet relativement tardif dans le flamenco puisqu’il n’apparait qu’au XIXe siècle.

Farruquito interagit très souvent avec la chanteuse Mari Vizaretta, qui se place à la croisée du chant et de la danse. Sans danser à proprement parler, la chanteuse marque joliment et fait scintiller avec art les franges argentées de sa robe. Farruquito dans ses différents soli semble converser avec la voix puissante, stridente et imprécatoire de sa partenaire.

Le registre expressif de Farruquito est très différent de celui de David Coria, moins subtil mais plus puissant. Il martèle le sol avec autorité. Ses envolées subreptices et ses reprises de pesanteur sont volontairement pesantes. Le travail percussif est impressionnant. Il engage les paumes de mains bien sûr mais aussi le bout des doigts dans la séquence « de la table » où il dialogue avec le percussionniste (Paco Vega). Les bras et les mains du danseur sont beaucoup plus formels que ceux de David Coria. Ils collent à sa veste rouge puis blanche à frange noires, scandent la musique ou se mettent en position de supination pour accueillir (ou susciter) les applaudissements du public. Les girations puissantes trouvent moins leur impulsion dans le buste (Coria) que dans la jambe opposée à la jambe de terre. Il y a chez Farruquito une aura de crooner qui fait contraste avec la juvénilité apparente d’un David Coria pourtant presque exactement son contemporain.

La scénographie est soignée. L’ambiance lumineuse (Angel Gascón) nous transporte par touches subtiles dans une taverne où sous un soleil brûlant, abolissant par instant le côté danse théâtrale pour évoquer plus directement les origines intimes du flamenco. Le public est même sollicité pour une séance de palmas pendant un des soli du danseur.

À la fin, pour les saluts, chaque musicien esquisse ou réalise une petite improvisation de danse et la boucle est ainsi bouclée.

2018 ARTE FLAMENCO 2018 Farruquito 96

Farruquito. Phtotgraphie Jean Louis Duzert

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Au final, on aura découvert grâce à cette biennale du Théâtre de Chaillot une palette large et intrigante de l’art flamenco, excitant notre curiosité et nous donnant envie d’aller plus avant dans sa découverte. On peut appeler cela un succès.

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