Archives de Tag: Cesc Gelabert

Le Temps d’Aimer la Danse. Temporalités (3/3). « Paléochorégraphie »

Le Temps d’Aimer la Danse 2025

Notre voyage entrepris dans les arcanes du Temps à Biarritz continue et s’achève avec deux représentations en quelque sorte …

« paléochorégraphique ».

 

 

 

*

 *                                              *

CCN-Ballet de Lorraine. Static Shot (Chorégraphie Maud Le Pladec, musique Chloé Thévenin et Pete Harden, costumes Christelle Kocher – KOCHÉ). Théâtre Quintaou. Anglet. 7 septembre 2025.

STATIC SHOT par le CCN – BALLET DE LORRAINE, chorégraphe MAUD LE PLADEC, Photographie de Stéphane Bellocq.

Au Théâtre Quintaou d’Anglet, le CCN-Ballet de Lorraine, dirigé depuis peu par Maud Le Pladec, présentait un double programme réunissant une pièce de la chorégraphe directrice, Static Shot, et A Folia de Marco Da Silva Ferreira.

Il peut certes paraître incongru d’accoler cet adjectif de paléochorégraphique, entre le néologisme et le mot-valise (de notre cru), à Maud Le Pladec qui est, depuis qu’elle a collaboré avec Thomas Joly à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques 2024, la représentation même du « in » en chorégraphie.

A vrai dire, j’ai vu cette cérémonie d’ouverture dans son ensemble comme un grand et fascinant néo-ballet de cour. Le public, trié sur le volet par le prix des billets, était assis sur des gradins de part et d’autres de la Seine devenue scène. Les barges portant les équipes nationales se succédaient à la manière des Trionfi que la famille de Médicis (celle de la reine Catherine qui apporta le Ballet dans la corbeille de ses noces avec le futur Henri II) aimait à organiser sur l’Arno. Une série d’animations jouées, déclamées, chantées et parfois dansées dans des costumes aussi somptueux qu’extravagants, alternait avec quelques merveilles de machinerie sensées émerveiller les cours d’Europe. Dans ce genre de ballet, on l’a compris, la Danse n’était qu’un élément parmi tant d’autres du spectacle.

Et on comprend que Thomas Joly, quand il a vu Static Shot, une pièce créée avec succès en 2021, ait pensé à Le Pladec pour sa cérémonie.

Static Shot est exactement un numéro intégrable dans une fresque fourre-tout. On nous y convie en effet à un défilé de mode, réglé sur un ostinato de percussions, et étiré sur 26 minutes. Les danseurs, vêtus de costumes aux couleurs tonitruantes souvent rehaussés de paillettes, se meuvent de concert à la manière des mannequins avec un chemin immuable en forme de Zeds qui s’entrecroisent. Ils exécutent des petits sautillés de Chorus Line à moins que ce ne soit des Square Dance ou des Irish Jig. Parfois, on leur demande des fulgurances corporelles avec force volutes des bras, très énergiques, des sauts et des passages à genoux. A un moment, les danseurs à plat ventre sur le sol replient leur bras le long du corps, d’abord étirés vers l’avant, en deux mouvements synchronisés tout en poussant des cris. Maud le Pladec utilise des contrepoints chorégraphiques simples mais efficaces pour créer un effet hypnotique.

Cela fonctionne. On a l’impression d’avoir traversé son écran de portable et d’être entré dans un clip vidéo sur-vitaminé.

STATIC SHOT par le CCN – BALLET DE LORRAINE, chorégraphe MAUD LE PLADEC. Photographie de Stéphane Bellocq.

Mais au bout d’un moment le doute s’installe. La pièce ne brille pas par sa variété de mouvements. Les danseurs, singularisés à l’extrême par des costumes tous différents n’ont pas, nous semble-t-il, l’occasion de démontrer leur singularité d’interprète sauf lorsqu’ils se dévêtent avant de reprendre une chorégraphie indifférenciée.

On se souvient en passant que, dans ces proto-ballets qu’étaient les Ballets de Cour, les interprètes n’étaient pas censés être des danseurs professionnels. Les évolutions planimétriques, au sol, avaient donc plus d’importance que les mouvements exécutés. Aujourd’hui, une combinaison de pas basiques aura toujours l’air merveilleux sur des corps parfaitement entraînés. Mais quel intérêt pour les danseurs et pour la Danse tout court ?

 *                               *

Avec La Folia de Marco da Silva Ferreira, on fait ensuite l’expérience du regret des souhaits exaucés.

Car une seule chose différencie cette chorégraphie de celle de Static Shot. Comme elle, elle a recours aux marches de Fashion Week en frusques tonitruantes qui font mal aux yeux et qui distillent l’image quelque peu déprimante d’une Humanité qui passerait sa vie à faire des squats en solitaire afin de se préparer à une énième soirée VIP en tenue artistement dénudée.

Ce qui diffère, donc, c’est que le chorégraphe offre une minute de célébrité à chaque danseur qui se soumet à l’approbation de ses pères rangés en arc de cercle, dans une formation de battle proprette. La singularisation passe souvent par des mouvements putassiers- roulement de popotins, agitation de queue de cheval et exhibition d’abdos – . On a le sentiment d’ingurgiter de force le défilement de toutes les vidéos d’une trend Tik Tok sans possibilité d’éteindre l’écran.

Au milieu de ce fatras racoleur, un joli passage, où le groupe en demi-cercles étagés met ses bras en forme de pétale et semble respirer à l’unisson des pulsations de la musique, laisse quelque espoir au spectateur désolé que je suis. C’est bien peu à sauver sur une longue demi-heure de pensum chorégraphique…

A FOLIA par le CCN – BALLET DE LORRAINE, chorégraphe MARCO DA SILVA FERREIRA. Photographie de Stéphane Bellocq.

On comprend qu’a certains moments de l’Histoire de la Danse, les chorégraphes ressentent le besoin de revenir à une certaine pureté originelle : c’est ce qu’ont fait les Romantiques dans les années 1830, Fokine au prémices du XXe siècle, Balanchine ou Forsythe au cours du XXe siècle. Mais retourner au XXIe siècle à un temps où la danse ne s’était pas encore émancipée des autres formes d’Art est peut-être pousser la logique un peu loin …

*

 *                                              *

Kukai Dantza, Laginkadak (divers chorégraphes). Théâtre du Casino Biarritz. 6 septembre 2025.

KUKAI DANTZA, Laginkadak. Photographie de Stéphane Bellocq.

La veille, au Théâtre du Casino municipal, on était invité déjà à faire un voyage dans le temps avec la compagnie Kukai Dantza dirigée par Jon Maya Sein, chorégraphe de Guipúzcoa et multiple champion de danse basque traditionnelle. Depuis des années, le chorégraphe s’emploie avec sa compagnie à faire basculer dans le présent sa danse ancestrale. Jusque ici, ces tentatives nous ont laissé froid. Dans ses pièces autocentrées, Gauekoak ou encore Yarin, Jon Maya semblait plus cultiver l’entre soi que le partage. Une pièce participative pour sa compagnie, Eta orain zer ?, lors de l’édition 2022 du Festival, portait de belles promesses mais nous a finalement aussi laissé sur le bord de la route. Cette année, le programme du festival annonçait Txalaparta, une création pour 8 artistes sur la musique du xylophone traditionnel basque qui lui donne son nom. Las, un artiste apparemment essentiel au groupe n’était pas disponible et la compagnie a donc présenté Laginkadak, un florilège d’extraits de pièces de chorégraphes ayant créé pour la compagnie et mis en scène par Daniel San Pedro.

De Txalaparta, subsiste une séquence, aux deux tiers de la représentation,  où deux instrumentistes féminines font résonner le xylophone. L’effet combiné de la musique percussive et de l’énergie déployée par les musiciennes est saisissant. Des éclairages bien conçus reflètent la gestuelle des joueuses et créent une chorégraphie fantasmée et fantomatique. On serait curieux de découvrir l’ensemble de la pièce de Jesus Pubio Gamo.

On pourrait en dire autant de nombre d’extraits dansés présenté dans Laginkadak. Il faut jouer a posteriori un petit jeu de piste, la feuille de salle fournie par la compagnie indiquant en vrac le nom des chorégraphes et de leur contribution au répertoire de la Kukai Dantza. Le spectacle suit une mali(g)ne progression. Dans la première section (extraite de Giza de Martin Harriague ?), cinq danseurs (3 garçons, 2 filles en shorts et tee shirt blancs développent une chorégraphie athlétique bien que dénuée de pyrotechnie incluant des ports de bras expressifs, marches à genoux et des portés à bas centre de gravité, parfois au ralenti. La danse est ancrée dans le sol. Les filles semblent souvent à l’initiative. Ici, à part de petits sautillés, l’élément basque de la chorégraphie se montre encore discret. L’arrivée d’un danseur tout de noir vêtu dans la lumière rouge représente une forme de pivot. Il égrène toute la grammaire connue de la danse traditionnelle basque, notamment les pas de grande batterie effectués en espadrilles.

KUKAI DANTZA, Laginkadak. Photographie de Stéphane Bellocq.

Les extraits suivants peuvent alors nous offrir des éclairages contrastés de la même tradition. Un type en jupe rouge entre   avec d’autres compagnons. Ils pourraient tous être des mannequins pour un défilé edgy. On réalise qu’en fait l’homme au kilt porte une version épurée des tonnelets des danses traditionnelles et que ses acolytes arborent tous un détail de costume traditionnel. Le répertoire des danseurs, incluant la batterie, les temps de flèche où la deuxième jambe semble prête à fracasser le front de son interprète, les marches sautillées et les rondes, tout est là. Pourtant, le passage (extrait de Gelajauziak de Jon Maya et Cesc Gelabert ?) sorte de rituel païen sous la direction d’un bonimenteur autour d’un curieux arbre totem, développe une gestuelle étonnamment contemporaine.

L’aller-retour entre le présent et l’intemporel se poursuit ensuite. Il y a dans Laginkadak cette alternance entre danse et musique jouée seule (des chants, le son acidulé de l’alboka ou encore celui plus sourd et enveloppant des cloches de bovins). Les deux instrumentistes, Luis Mari Moreno « Pirata » (accordéon) et Julen Izarra (saxophone soprano) tirent l’ambiance vers le jazz manouche et précèdent un passage pour 4 danseurs en costumes acidulés (Oskara de Marcos Morau ?) qui nous tire presque vers la comédie musicale en technicolor des années 40 avant qu’une section lente en costume blanc ne nous renvoie à un mystérieux jeu de pelotes à l’aube du XXe siècle. Le répertoire des pas basques primordiaux est toujours là, éternellement frais, intemporel.

KUKAI DANTZA, Laginkadak. Photographie de Stéphane Bellocq.

Nous pensons incidemment, une fois encore, à la célèbre formule de William Forsythe : « Le vocabulaire n’est pas, ne sera jamais vieux. C’est l’écriture qui peut dater ». Cette phrase faisant référence au ballet classique, pourrait tout aussi bien s’appliquer à la danse basque illustrée dans Laginkadak.

*

 *                                              *

C’est sur ce Temps, à la fois intimement connecté au passé mais vibrant au présent, loin des vernis factices à la mode qui très vite s’opacifient, que nous nous plaisons à quitter l’édition 2025 du Temps d’Aimer la Danse.

Commentaires fermés sur Le Temps d’Aimer la Danse. Temporalités (3/3). « Paléochorégraphie »

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), France Soirs, Hier pour aujourd'hui, Humeurs d'abonnés