Cuba : une Giselle droit au but.

Giselle. Ballet de Cuba. Saluts.

N’ayant pris que des places pour le gala d’ouverture du ballet de Cuba à Pleyel, il me restait à déterminer quel couple choisir pour Giselle. Mon cœur balançait entre le couple de « jeunes », Grettel Morejón, (depuis 10 ans dans la compagnie mais promue Primera Bailarina en 2016) et Rafael Quenedit (21 ans), et le couple de transfuges, Yolanda Correa et Yoel Carreño (aujourd’hui principaux au Ballet national de Norvège). Ces deux couples n’ayant écopé que d’une seule date, le samedi 8, c’est mon emploi du temps personnel qui m’a aidé à trancher. Ce serait la matinée avec le couple de « jeunes ».

Ma dernière expérience de la Giselle cubaine n’avait pas été des plus concluantes. C’était en 2007 aux Etés de la Danse, sous la coupole du Grand Palais. La scène semblait isolée entre les deux rampes monumentales du grand escalier et la production entière se perdait sous la coupole. Du coup, j’avais eu du mal à adhérer aussi bien aux costumes qu’aux décors qui laissaient voir les danseurs se préparer dans les coulisses. Même la chorégraphie ne m’avait pas convaincu. À la salle Pleyel, le tout passe plutôt mieux. C’est un peu schématique (la maison de Giselle ressemble à ces maquettes de ferme miniature avec lesquelles je jouais enfant) mais on reconnaît de jolies idées. Le rideau d’arbre presque esquissé donne une profondeur de bon aloi au décor du village. Les costumes ont bien parfois des couleurs un peu criardes, les couvre-chefs masculins sont souvent croquignolets (le pauvre écuyer Wilfrid ressemble un peu au Benno de l’acte deux du Lac des Trocks). Mais l’ensemble est gai et le corps de ballet bien coordonné, dans une chorégraphie assez conforme à l’original, donne agréablement vie à l’ensemble. Le pas de deux des vendangeurs, remplacé par un pas de huit m’avait fait grincer des dents il y a dix ans. Pourtant, force m’est de reconnaître que cette option, vue ailleurs, présente l’avantage de moins arrêter l’action en continuant de dérouler la fête villageoise. Et puis les quatre garçons, qui se partagent les deux traditionnelles variations masculines dont on reconnaît les combinaisons chorégraphiques, rencontrent un franc succès.

Toutes ces qualités seraient néanmoins de peu de poids si on n’adhérait pas au couple principal. Il y a dix ans, je n’avais pas été bouleversé par l’acte 2 d’Anette Delgado, trop figé dans les poses.

Avec Grettel Morejón, on est d’emblée face à une Giselle très directe, d’une grande fraîcheur. La technique est claire, sans affèteries. Elle accomplit par exemple une jolie variation de la diagonale sur pointe, notable surtout pour ses tours attitudes planés. Son Albrecht, Rafael Quenedit, est aussi doté d’une belle ligne et de ports de bras harmonieux. Le couple joue la carte de la juvénilité. Albrecht n’est pas nécessairement un parjure. Le choix d’une Bathilde un soupçon dure-à-cuire justifie son besoin d’évasion. De son côté, Giselle paraît effrayée de la passion violente qu’Hilarion (excellent Julio Blanes) nourrit pour elle.

Ce qui marque surtout, c’est l’intelligence dramatique de Grettel-Giselle. Elle fait merveille dans la scène de la folie. Pas d’excès de violence mais un engagement physique qui rend le tout poignant. Plus qu’une folle romantique (Giselle a les cheveux dénoués mais ils n’étaient qu’en queue de cheval auparavant – comme jadis ceux d’Alicia Alonso), on a le sentiment de voir une vraie jeune fille dans un moment d’égarement consécutif à un choc émotionnel. Elle s’effondre comme une masse, des suites d’une crise cardiaque dans les bras d’Albrecht. Le désespoir de Rafael-Albrecht est sincère. Il permet – enfin !– au danseur de se défaire de son écuyer qui passe son temps à le suivre comme un toutou pendant que Giselle se débat mais lui laisse aussi le soin de se débarrasser tout seul de son épée quand la jeune fille l’a délaissée. Une option dramatique des plus discutables …

À l’acte 2, Grettel Morejón et une Giselle à la fois charnelle (elle sait garder cette chaleur qu’elle exsudait au premier acte ; ce qui la place d’emblée à part des autres Willis) et aérienne (grâce à un ballon naturel et à un plié d’un moelleux absolu). Sa ligne romantique, avec une arabesque volontairement placée juste en dessous de la ligne du dos mais qui forme une jolie ligne sinueuse avec les bras, est très agréable à l’œil. Elle est aussi conforme à l’idée qu’on se fait de Giselle. Car, dans la chorégraphie d’Alicia Alonso, qui suit dans les grandes lignes la chorégraphie dansée partout ailleurs, les Willis, aux tonalités vert mousse, grosses couronnes de fleur et poignets cassés, doivent presque plus au Jules Perrot du Pas de quatre qu’à celui de Giselle. Les ports de bras jouent parfois l’explicite au détriment de l’esthétique. À la fin de la grande scène de réveil des Willis, le corps de ballet se place en arc de cercle dans une pose bizarre entre l’agenouillement et la position couchée sur une méridienne, un bras posé au sol et l’autre tendu tout droit en l’air. Les Willis ressemblent bien à une armée en guerre mais l’effet reste vilain. Leur reine (Glenda Garcia) danse d’une manière sûre. Mais l’autorité n’entraîne pas toujours le charme. On n’est pas certain s’il s’agit d’un défaut de la danseuse ou d’une volonté spécifique pour cette version du ballet.

Dans Albrecht, Rafael Quenedit est encore un peu vert dramatiquement. Il reste sincère mais son interprétation manque de progression dramatique. On se repaît néanmoins de sa belle technique maîtrisée.

Mais Giselle émeut pour deux dans la scène finale. Un joli port de bras lyrique, une belle arabesque penchée et la voilà partie. Albrecht peut s’effondrer de désespoir sur la tombe non sans nous avoir régalé encore une fois (Cuba oblige) d’une dernière prouesse saltatoire, c’est le souvenir de l’absente nous laisse le cœur serré.

 

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