A Stuttgart : danses (dé)concertantes.

P1090939Ballet de Stuttgart, Programme Forsythe / Goecke / Scholz. 19 mars 2016.

Le ballet de Stuttgart proposait un programme mixte de trois ballets abstraits par trois chorégraphes à cheval sur le XXe et le XXIe siècle et, avec eux, une réflexion, assez stimulante pour l’esprit, sur la musicalité.

Il y a bien longtemps, j’ai vu « The Second Détail » au Théâtre du Châtelet avec le ballet de Francfort. La pièce constituait alors la première partie d’un spectacle appelé « The Loss of Small Detail » dont « Second » était, avec ce sens du pied-de-nez propre à Forsythe, la première partie ; la plus accessible aussi. « Loss » était une longue pièce théâtrale avec de la neige qui tombait sur scène et un danseur tacheté comme un guépard qui à un moment, juché sur une table, tenait bien serré entre ses cuisses la pancarte avec le mot « The », énigmatique, qui occupait le devant de scène dans « The Second Detail ». La musique de Tom Willems suivait la même pente.  Celle de « The Second Detail », très synthétique et rythmique avait des réminiscences d’ « In The Middle Somewhat Elevated ». Celle de « The Loss of Small Detail » était flottante et susurrante.

Dans « Second Detail », Les quatuors, les doubles trios, exécutent en formation géométrique leurs enchaînements mais leur chevauchement apparemment aléatoire oblige l’œil à sans cesse circuler dans la recherche d’une logique perpétuellement remise en cause. Les duos et solos, qui font également irruption inopinément, troublent encore plus la donne.

Les danseurs de Stuttgart déploient la bonne énergie dans cette pièce d’un chorégraphe que de nombreuses compagnies réduisent à des bras hyperactifs et des déboités de hanche maniéristes. Leur mouvement est plein, leurs attaques très assurées. Quelque chose manque cependant. À l’époque du ballet de Frankfurt, les fulgurances classiques des danseurs, ou les distorsions du vocabulaire académique semblaient naître d’un terrain plus fluctuant, aux marges de la street dance. Les danseurs de Forsythe ressemblaient parfois à des adeptes du Voguing.

Néanmoins, on sait gré aux danseurs de Stuttgart (et tout particulièrement à Elisa Badenes) de véhiculer la musicalité propre à Forsythe en flottant sur la musique, à la périphérie du rythme.

« Lucid Dream », la dernière création en date de Marco Goecke pour Stuttgart – il en est à sa douzième – témoigne d’un tout autre rapport à la musique. Gestuelle hyperactive des mains, convulsions des épaules ou des bustes, marches en piqué avec va-et-vient du cou, respirations bruyantes ou onomatopées ; les danseurs semblent parfois s’adresser, avec colère, à la fosse d’orchestre. Sortes d’insectes mâles atrabilaires (lors de l’apparition de la seule fille de la pièce, un pas de deux en forme de parade d’amour s’esquisse), ils semblent d’ailleurs lutter contre l’adagio de la 10e symphonie de Mahler.

L’intérêt s’étiole vite, il faut l’avouer.

Avec « Siebte Sinfonie », d’Uwe Scholz, l’approche est diamétralement opposée. Les quatre mouvements de la 7e Symphonie de Beethoven sont consciencieusement visualisés. Un ensemble répond à un choral, une combinaison chorégraphique en canon à un canon musical. La répétition d’un thème appelle la répétition de la même combinaison chorégraphique.

Personnellement, cette veine illustrative a été définitivement tuée chez moi par la « Symphonie en Ré » de Kylian qui en épinglait férocement les travers.

Le ballet de Scholz n’est pourtant pas avare de belles images. Les filles déploient leurs longues lignes comme les cygnes leurs ailes. Les garçons célèbrent la célérité du bas de jambe.  La danseuse principale Hyo-Jung Kang parvient même à insuffler une sensualité diffuse (il est vrai aux bras ardents de Daniel Camargo) à son rôle de présentatrice des thèmes.

On reste cependant étonné lorsqu’on découvre que le ballet d’Uwe Scholz date de 1991, l’année de la création de « The Second Detail » par le ballet de Francfort.

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