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Le Temps d’Aimer la Danse 2024 : Duos (2). Drôles de rencontres!

Pour cette édition 2024 du Temps d’Aimer la Danse, les duos peuvent parfois surgir là où on ne les attendait pas. Le Dimanche 8 septembre, les partenaires des danseurs étaient en effet des objets dont on pourrait considérer qu’ils sont inanimés. Et pourtant…

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Proyecto Larrua : Sangre y clorofila

Sur la place Clemenceau, devant la façade d’une célèbre chaîne de grands magasins, l’ambiance est à l’incertitude. Le temps, qui s’était montré plutôt clément durant la journée de samedi, s’est considérablement détérioré et la pluie s’en est donnée à cœur joie. Le matin, la gigabarre menée par Xenia West, la directrice du Ballett X Schwerin, a finalement eu lieu mais les danseurs ont dû ajouter le ciré à leur attirail de danse. La représentation de rue de cet après-midi de septembre semble bénéficier d’une courte éclaircie mais le sol reste humide. Il faut attendre de voir s’il sèche pour décider de la tenue ou non de l’évènement. On comprend vite pourquoi.

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Proyecto Larrua. Sangre y Clorofila

Le danseur en tenue rouge basque (ou rouge sang de boeuf) qui s’avance (Aritz Lopez), s’est choisi un bien pesant partenaire. Il s’agit en effet d’un lourd tapis de gazon artificiel de la taille du danseur roulé et lié par des liens de raphia. La rencontre pourrait paraître incongrue et pourtant…

Le Proyecto Larrua, spécialisé dans les spectacles de rue est décidément très inventif. Il y a deux ans, on avait déjà été fasciné par son « Idi begi » (« œil de bœuf ») sur le parvis du Casino municipal qui, avec seulement trois danseurs, parvenait à évoquer les labours. Ici, Aritz Lopez et Jordi Vilasceca, le duo de chorégraphes, se proposait de rendre hommage au peintre figuratif basque Vicente Ameztoy (1946-2001) dont les toiles présentaient souvent des individus presque translucides dans des paysages basques très verts.

La musique lancée distille tout d’abord des bruitages de tunnel autoroutiers avant de nous faire entendre des chants d’oiseaux et occasionnellement des chants religieux basques. Avec sa pesante pelouse artificielle, l’interprète entame un intrigant pas de deux, faisant une arabesque avec son fardeau, le berçant comme un nourrisson ou le faisant tournoyer autour de son haut de corps comme pour un concours de force basque. Parfois jeté au sol, l’inerte partenaire devient appui pour des passes chorégraphiques sur   les mains venues du hip-hop, des chandelles développées prises de la poitrine (l’incorrigible classique que je suis pense immanquablement au Jeune Homme et la Mort de Petit). Accessoirement le rouleau peut également devenir hamac, lieu de contemplation.

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Proyecto Larrua. Sangre y Colorofila.

L’interprète défait enfin les liens du tapis. La moquette vert gazon devient alors sol de danse, muleta de toréador ou encore couverture de survie. Sur une bande sonore de musique de corrida, le danseur rouge effectue une marche à genoux de soldat vaincu.

La pelouse redevient manteau. Aritz Lopez se cache dessous tout en tournant sur lui-même. On a l’impression de voir une montagne se mouvoir…

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Proyecto Larrua. Sangre y Clorofila. Saluts

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Akira Yoshida : Burial of the Bark

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Akira Yoshida : Burial of the Bark. Photographie CdeOtero

En fin d’après-midi, on retourne en salle, au Colisée, pour assister à un « duo » tout autant peu conventionnel. Dans Burial of the Bark, le chorégraphe et interprète Akira Yoshida délivre un solo … avec une valise-cabine à roulettes.

Le danseur-chorégraphe entre par la salle, traînant sa valise. Il marmonne des propos inintelligibles. On pense à un voyageur stressé qui chercherait son chemin dans une gare ou un aéroport inconnu. Quand il monte enfin sur scène, débute une musique staccato (Dodi Beteille) qui s’accorde parfaitement à la gestuelle saccadée qu’il adopte. Les mains et les épaules s’agitent de manière sporadique et désorganisée. On réalise que ces mouvements sont sans cesse polarisés par la valise à roulettes dont on pressent qu’elle est plus qu’un accessoire de scène. Quel secret contient-elle ? Akira Yoshida en tirera une chaise d’enfant sur lequel il s’assiéra parfois, un petit cadre orné d’une naïve gravure d’oiseau et une bouteille d’eau ; tout un ensemble de vestiges d’un passé diffracté auxquels le pauvre hère s’adresse. Les soliloques se succèdent en effet, parlant des mains qui auraient dû bâtir quelque chose mais qui sont impuissantes. C’est le monologue désarticulé du SDF ou du junky croisé au petit matin sur un quai de métro en plein hiver.

Par moments le danseur se lance dans des révolutions sur les mains inspirées du hip-hop (une technique qu’Akira Yoshida a d’abord étudiée avant d’évoluer vers la danse contemporaine). Ces évolutions muettes peuvent représenter des bulles d’harmonie où le corps, comme désengagé de l’esprit fracassé, s’envole en des volutes poétiques.

Mais il y a le retour à la terrible réalité où le pauvre solitaire titube, s’effondre et parle au bagage comme à un compagnon de fortune. Certains moments sont même éprouvants comme lorsque le danseur, couché sur dos, enfile le goulot de sa bouteille plastique dans sa bouche et ingurgite la totalité de son contenu. Puis il y a aussi l’insoutenable succession des rires et des pleurs qui finit par prendre le pas sur la musique et devient une mélopée à l’étrange beauté crève-cœur.

Et toujours, il y a ces brefs rattachements à un discours construit à défaut d’être cohérent. Le danseur termine le ballet en faisant une danse en spirale avec son bagage qui nous évoque, sur le mode pathétique, le pas de deux-baiser final du Parc de Preljocaj.

On ressort très secoué et profondément ému par cette drôle de rencontre.

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Akiro Yoshida. Burial of the Bark. Saluts.

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