Les fêtes passées à l’étranger, c’est l’occasion de découvrir quelques traditions exotiques. Pour le balletomane que je suis, cela aura été cette année le ballet pour enfant.
À Londres, le studio Linbury présentait le Wind in the Willows de Will Tuckett, qui fête son dixième anniversaire et sa huitième reprise. L’argument simple, tiré d’ un célèbre livre illustré de Kenneth Grahame mettant en scène des animaux des marais habillés et policés comme des membres de la gentry edwardienne, nous conte la difficile tâche qui attend un groupe d’amis – Mole (Taupe), Ratti (Rat des champs), Badger (Blaireau) – résolus à sauver le très remuant Toad (Crapaud) de ses propres facéties (entre autres, conduire une voiture sans permis et séduire la très hommasse fille de son geôlier). La pièce tient plus de la pantomime de Noël (une tradition éminemment britannique) que du ballet à proprement parler. Elle mélange danseurs, acteurs, chanteurs et même marionnettistes (les fouines-gants sont irrésistibles). L’ensemble a pourtant une authentique qualité chorégraphique. On est pris dans un flot de mouvement et cet ensemble d’artistes qui pourrait être disparate finit par sembler bouger à l’unisson.
A l’inverse du Tales of Beatrix Potter d’Ashton, le chorégraphe a décidé de s’éloigner des illustrations de l’édition d’origine pour se concentrer sur la personnalité des héros et sur leurs interactions. Il n’y a donc pas de savants casque-masque ni de rembourrages sur les cuisses ni de décors carton-pâte (toute l’action a lieu dans un grenier et l’armoire fait tout autant office de carriole que de porte d’entrée de Toad Hall ou encore de tribune pour l’impressionnant juge-marionnette actionnée à vue). Mole (la danseuse Clemmie Sveaas) apparaît ainsi roulée dans un tapis, coiffée d’un casque de chantier avec sa lampe allumée ; les canards sur le cours d’eau sont de drolatiques couvre-chefs portés par des danseurs et le lièvre facteur ainsi que sa compagne portent des bonnets de nourrissons à grandes oreilles. Aussi entend-on dans la salle en début de spectacle quelques ronchons marmots déroutés par le manque de ressemblance des interprètes avec les représentations de leur livre de chevet. Mais pendant ce temps, les adultes sourient, déjà attendris. La poésie se distille (en partie grâce à la partition de Martin Ward librement inspirée de thèmes de musiques du compositeur edwardien George Butterworth) et la distance salle-scène s’abolit. De jeunes chanteurs apparaissent dans les galeries du théâtre et chantent des « Christmas Carols », Il neige sur le public et Toad (le facétieux Cris Penfold) , avec sa voiture-jupon à Klaxon est poursuivi et attrapé par des policiers au milieu du public pendant l’entracte. À la fin du spectacle, enfants et parents sont unanimes et applaudissent aussi bien les bons que les méchants.
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A Vienne, on entend également des chants d’enfants, mais ce sont de jeunes amateurs habillés en rois mages faisant la quête à l’occasion de l’Épiphanie avant le spectacle sous le porche du Volksoper. La compagnie de la seconde scène lyrique et chorégraphique viennoise présente également un ballet d’enfant tiré d’un conte d’avant la Première Guerre mondiale (l’auteur du livre original, Wilhelm Busch, meurt en 1908, l’année de la parution de The Wind In The Willows), « Max und Moritz ». Le conte, plus directement moral que son parèdre anglais, décrit les méfaits de deux affreux galopins qui tournent leur village entier en bourrique. Ils scient des ponts sous les pieds du malheureux Böck qui barbote ensuite au milieu des oies, pendent avec cruauté le coq et ses poulettes à l’arbre de la veuve Bolte puis volent enfin les poulets rôtis en les pêchant directement dans la poêle par la cheminée. L’aventure ne tourne pas nécessairement toujours en leur faveur. Ils sont tout de même cuits dans un four et ressortent sous la forme de brioches anthropomorphiques. Finalement, le meunier et son assistant auront raison des deux vilains diables. Passés à l’égreneuse, ils seront picorés par des canetons.
Max und Moritz, comme Wind in the Willows, Tales of Beatrix Potter ou encore Alice’s Adventures in Wonderland, est agrémenté d’illustrations devenues canoniques. À Vienne, contrairement à Londres, les chorégraphes ont décidé de coller à l’esthétique « historique » du livre. La partie la plus réussie est le décor : un espace semi-circulaire figurant une bibliothèque. Chaque travée porte un fronton où est représenté l’un des méfaits des deux héros. Les «éléments du décor » pour chaque épisode sont tirés comme des bibelots des étagères puis replacés, à l’instar de l’imposant livre sortant d’une énorme trappe circulaire au début du spectacle dont s’échappent les deux galopins. On sera plus mitigé sur les costumes. Les danseurs polyvalents de la troupe du Volksoper sont parfois rendus méconnaissables par leur postiche (Max porte a une tignasse filasse noire et Moritz une houppette rouge) ou disparaissent sous leurs costumes (Veuve Bolte interprété par Samuel Colombet). C’est en général plus réussi pour les animaux que pour les humains : les poules portent des robes à faux derrière très fin de siècle avec quelques franges figurant les plumes, les oies ont un petit côté cygne et les canetons – des enfants de l’école du Volksoper – ont d’irrésistibles pieds palmés.
Il en est de même pour la chorégraphie, plus inventive pour ces palmipèdes, les gallinacés et même les insectes cafards que pour les humains, souvent cantonnés dans un registre hyperactif épuisant à la longue sur les musiques déjà sur-vitaminées de Rossini. L’usage de l’idiome classique est réservé aux deux « héros » Max et Moritz : une pyrotechnie assez conventionnelle (multiples tours à la seconde et autres pirouettes en l’air). Les deux danseurs, Marian Furnica (Max) et Trevor Hayden (Moritz) s’en sortent plutôt bien si on considère que ces rôles ont été pincés au départ sur les facilités de Daniil Simkin (Principal à l’ABT) et sur Denys Cherevychko (Principal à Vienne et récent interprète de Don Quichotte à l’Opéra de Paris). Mais finalement, la plus grande salve d’applaudissement de cette soirée ne sera pas allée aux deux principaux mais à la petite élève du Volksoper marchant sur les mains en grand écart dans son costume de caneton…
Max und Moritz ne cherche guère à secouer la vision a priori des adultes sur le ballet quand Wind in the Willows, qui prend le risque de dérouter dans un premier temps les enfants, gagne les parents dans la salle par sa fusion des genres laissant s’échapper un doux parfum de poésie nostalgique.
- The Wind in the Willows, Londres, Royal Opera House, Studio Linbury. Chorégraphie : Will Tuckett. Musique, Martin Ward (d’après George Butterworth). Représentation du 22 décembre 2012. Cris Penfold (Toad), Will Kemp (Ratty), Tom Woods (Badger), Clemmie Wood (Mole).
- Max und Moritz, Vienne, Volks Oper. Chorégraphie : Ferenc Barbay et Michael Kopf. Musiques de Rossini. Représentation du 4 janvier 2013. Marian Funica (Max), Moritz (Trevor Hayden), veuve Bolte (Samuel Colombet).