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Promise : Sharon moins égale à elle-même.

Promise de Sharon Eyal avec les danseurs de Tanzmainz, Théâtre des  Abbesses, 14 juin 2023.

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Promise, Sharon Eyal, Cie Tanzmainz. Photographie Andreas Etter

Née à Jérusalem, Sharon Eyal fait partie de ces interprètes de la Batsheva  qui ont su s’émanciper du grand maître de la danse israélienne, l’incontournable Ohad Naharin. Elle sera danseuse au sein de la compagnie de 1990 à 2004 puis chorégraphe en résidence pour la même compagnie de 2005 à 2012 avant de prendre son envol définitif et créer avec Gai Behar sa compagnie L-E-V en 2013. Lev signifie cœur en hébreux. Il suffit d’énumérer quelques une de ses pièces maitresses, The Brutal Journey of the Heart, Love, After Love, Love Chapter 2, OCD love pour comprendre que l’amour est au cœur de son œuvre et de sa réflexion.

Très inspirée des fulgurances physiques de Naharin mêlées à sa délicate tendresse, son subtil alliage du muscle et de l’âme, Eyal a su aussi trouver son propre style. Elle parle d’amour sur la pointe des pieds avec une frénésie qui vire à l’obsession.  Confère son Faunes qu’elle créa pour les danseurs de l’Opéra de Paris en 2021, un menuet païen à la limite du soutenable pour les danseurs comme pour ceux parmi le public peu enclin à ses maniérismes quasi maniaques. OCD Love, une pièce superbe, portait en son titre la fibre même de son style. OCD veut dire Obssessive Compulsive disorder, un trouble qui affecte en effet quelques amoureux mais que l’on attribue également aux personnes particulièrement rigides.

On retrouve dans Promise, pièce créé pour le Tanzmainz de Mayence en 2021, les manies voire les tocs de la chorégraphe. C’est une pièce néanmoins plus radicalement joyeuse et fondée davantage sur la notion du groupe que sur ses habituels éparpillements et l’idée d’un certain solipsisme.

La pièce commence par un collé-serré en maillots bleu clair pour sept danseurs, trois filles pour quatre garçons, réunis dans un carré de lumière, poings serrés, bras ramassés sur la poitrine, piétinant sur demie pointe.

Eyal refuse obstinément l’ampleur du geste.  La masse des corps a quelque chose de robotique, impression amplifiée par le martellement de sons répétitifs. Métaphore d’un corps social ankylosé ? On est tout de même loin d’un unisson façon Lac des Cygnes. Les corps des danseurs sont résolument hétéroclites. Les genoux restent pliés, les pieds trottent menu en demie pointe mais peu à peu les torses et les bras se libèrent. Ils dessinent dans l’air de délicates torsions ressemblant aux bois du cerf. On s’attend à une apothéose. Elle ne vient pas. On change simplement d’ambiance. Le corps collectif se fait plus voluptueux sur des airs de calypso, esquisse des cœurs avec les bras et glisse doucement vers une joyeuse transe dont s’échappent furtivement un ou deux danseurs, vite aimantés à nouveau par ce cocon fraternel.

Finalement, l’apothéose vient avec un final libérateur sur des sons de défilé de mode. Un « sashay » un peu facile  mais réjouissant qui voit le groupe prendre la pose ou parcourir la scène en chaloupant avec des petits gestes de gourmandise.

Au bout de 45 minutes seulement, on quitte ce groupe soudé d’individualités très particulières avec regret.

Promise vaut avant tout pour l’excellente interprétation des danseur du Tanzmainz et son côté feel good. Pièce essentiellement abstraite, on peut néanmoins y voir un glissement du piétinement rabougri de l’âme et de ses passions tristes à une fraternité retrouvée. Comme la promesse d’un monde d’amour ? Habituée à décortiquer la torture et le tortueux des sentiments, voici une Sharon Eyal qui s’essaie brillamment à un optimisme rafraichissant.

François Fargue

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